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Le tunnel du Col del Prat

Le Pla de Fitou

À Fitou, le Pla est une dépression argileuse située à l'Ouest du village et dominée par les reliefs de la Serre de la Garrigue à l'Ouest, des Corneilles au Nord, des Pujades l'Est et des Courtiels au Sud.

Cette dépression est semblable à celle au bord de laquelle est implanté le village d'Opoul.

Cependant à la différence de la plaine d'Opoul où les eaux pluviales peuvent s'évacuer vers la Font d'Estramar par le Barranc dels Ametllers, le Pla de Fitou n'a pas d'exutoire naturel. Par fortes pluies il se remplit d'eau dans sa partie la plus basse et constitue un lac temporaire.

Le drainage du Pla

Comme on peut l'observer sur le plan ci-dessus, le Pla est drainé par un réseau de canaux qui convergent vers un collecteur en forme de Y.

La branche principale du Y, origine du Ruisseau du Pla, ruisseau à régime épisodique qui traverse le village de Fitou, abouti à un tunnel qui traverse le seuil du Col del Prat.

L'entrée du tunnel se fait par une porte maçonnée munie d'une vanne métallique à crémaillère bloquée à 40 cm du sol et assurant ainsi un écrêtage du débit.

◄ À gauche en décembre 2014
    sous 1,50 mètres d'eau.

À droite en mai 2015 ►
quand le canal est à sec.   

L'exutoire est une ouverture grossièrement rectangulaire de 1,20 x 0,50 mètres de section qui, selon la carte IGN, est la source du Ruisseau du Pla.

◄ À gauche en décembre 2014
    sous 30 centimètres d'eau.

À droite en juillet 2015 ►
quand le Ruisseau du Pla est à sec.   

Le tunnel

Le tracé

Le tunnel du Col del Prat a une longueur théorique de 253 mètres et suit un tracé courbe, le ravin du Ruisseau du Pla faisant un angle de 142° avec le canal principal du réseau de drainage.

Survolez les repères jaunes pour afficher la photo de l'ouvrage correspondant.

Les regards

Le tracé du tunnel est ponctué par neuf regards clos par des dalles de calcaire (environ 80*80*15) ou de grosses pierres, par une dalle de béton pour le regard numéro 4 et même par une plaque de fonte pour le regard numéro 9. On les distingue très nettement sur la photo aérienne.

Les distances entre ces regards sont très irrégulières. Elles s'échelonnent de 10 mètres entre les regards 8 et 9 à 40 mètres entre les regards 6 et 7.

Ces regards sont en fait les puits à partir desquels a été creusé le tunnel.

Cette méthode était déjà utilisée en Perse au début du Ier millénaire avant notre ère pour la réalisation des Qanats.

Elle a été encore utilisée au XXème siècle pour le creusement de certains tunnels ferroviaires ou fluviaux.

Ainsi, à une toute autre échelle, le tunnel sous la Manche a-t-il été creusé à partir de deux puits par deux tunneliers progressant l'un vers l'autre.

Visites

Quand il n'est pas en eau, le tunnel est accessible sur quelques dizaines de mètres depuis ses deux extrémités. La partie centrale, en revanche, est inaccessible. Le parcours est boueux et bas de plafond, le casque est indispensable, et cette visite s'effectue aux risques et périls du visiteur.

L'amont

La partie amont est réputée visitable jusqu'au regard N°2.

Mais lors de notre visite réalisée en juillet 2015, nous nous sommes "dégonflés" devant une étroiture assez boueuse à 8,15 mètres en aval du regard du N°1 et nous n'avons exploré que 26 mètres du tunnel amont.

Nous avons constaté qu'entre la vanne amont et le regard N°1, le tracé souterrain n'est pas rectiligne mais fait plusieurs zig-zags.

Consultez le diaporama de la visite de l'amont du tunnel. ►

Attention : ainsi qu'on peut le voir dans ce diaporama, cette section amont est creusée dans un calcaire très fracturé et très hétérogène. Des blocs qui sont parfois de forte taille, jonchent le sol, tandis que certains, qui sont suspendus à la voûte, paraissent instables et rendent le parcours un peu inquiétant.

L'aval

Nous avons exploré la section aval jusqu'un peu au delà du regard N°8, soit sur environ 35 mètres. Car là encore nous nous sommes "dégonflés" devant une étroiture boueuse.

Et nous avons constaté que le tracé souterrain de cette section n'était pas plus rectiligne que celui de la section amont.

La section aval du tunnel est taillée dans un calcaire beaucoup plus homogène que l'amont et sa visite est plus rassurante. Cependant on y découvre les vestiges de deux importants éboulements qui semblent avoir fait l'objet de réparations assez récentes.

◄ Consultez le diaporama de la visite de l'aval du tunnel.

Remarques sur le fonctionnement hydraulique

Bien que nous ne disposions ni des compétences, ni du matériel permettant de réaliser un nivellement du tunnel nous avons pu remarquer des traces d'anomalies dans son fonctionnement hydraulique.

À l'amont

◄ À gauche,
la vanne amont est bloquée à 40cm du radier du canal.

À droite ►
En période de crue, elle est immergée sous 1,50 mètres d'eau.

Dans le cas d'un écoulement non torrentiel, tel celui observé sur la photo ci-dessus, le niveau d'eau à l'aval de la vanne devrait être sensiblement identique à la hauteur de l'ouverture de celle-ci.

◄Ainsi que le montre l'expérience en maquette hydraulique, ci-contre à gauche.
Photo : Vasquez Dufresne 

Toutefois dans le tunnel, on constate que les traces laissées par l'eau ne correspondent pas vraiment au modèle théorique.

Le tunnel, vue vers l'amont

◄ À gauche,
la trace du niveau des plus hautes eaux coïncide approximativement avec la hauteur observée à l'extérieur de la vanne.

À droite, ►
la trace des plus hautes eaux est pratiquement horizontale à 1,40 mètres du sol.

Le tunnel, vue vers l'aval

Le puit N°1 vu du tunnel

◄ À gauche,
trace du niveau des plus hautes eaux à 1,70 mètres du sol, dans le puit N° 1.

À droite, ►
le puit N° 1 en charge vu depuis la surface, le miroir d'eau n'est pas turbulent.

Le puit N°1 vu de la surface

Les traces laissées par l'eau boueuse sur les parois montrent que celle-ci stagne avec un écoulement lent et non turbulent à un niveau quasiment identique à celui que l'on observe à l'amont de la vanne d'entrée.

Ni les parois, ni le sol boueux du tunnel ne portent de traces de remoux ou d'un écoulement violent.

Ces traces semblent donc indiquer qu'à l'aval de la section observée se trouve un goulot d'étranglement ou un seuil, probablement dû à un éboulement de la voûte, qui limite le débit et créé une rétention de l'eau.

À l'aval

À vingt mètres de l'exutoire

On constate à une vingtaine de mètres de l'exutoire, que la trace des plus hautes eaux est à environ 1,20 mètres du sol du tunnel et qu'elle coïncide à peu près avec le sommet de la voûte de l'exutoire.

Intérieur de l'exutoire

L'exutoire forme un seuil avec une pente très marquée et le niveau du lit du ruisseau du Pla est nettement plus haut que le sol du tunnel.

Extérieur de l'exutoire

La sédimentation ne semble pas de nature à expliquer cette contre-pente qui pourrait être due :

Comparaisons avec des ouvrages similaires

Comparaisons avec les ouvrages romains

On trouve dans la partie aval du tunnel, taillée dans un calcaire plus homogène que celui de l'amont, de traces significatives laissées par les mineurs qui l'ont excavée :

  1. des marques de pic;
  2. des niches pour les lampes;
  3. des tracés en zig-zag.
1° Les marques de pic

Dans les tunnels de l'époque romaine, tel le tunnel des Cantarelles à Sernhac sur le tracé de l'aqueduc de Nimes, tout comme dans celui du Col del Prat on note les mêmes traces courbes des pics avec lesquels la roche a été creusée.

Sernhac : les Cantarelles

◄ À gauche
traces de pics dans la paroi du tunnel des Cantarelles.
Photo : Ilcje 

À droite ►
traces de pics dans la paroi du tunnel du Col del Prat.

Fitou : Col del Prat

2° Les niches pour les lampes à huiles

Dans le tunnel du Col del Prat tout comme dans le tunnel romain de la Traconnade à Venelles, sur le tracé de l'aqueduc d'Aix en Provence, on trouve des niches destinées à abriter les lampes à huiles avec lesquels s'éclairaient les mineurs.

Venelles : la Traconnade

◄ À gauche
deux niches à lampes
dans la paroi du tunnel
de la Traconnade.
Photo : Randomania

À droite ►
trois niches à lampes
dans les parois du tunnel
du Col del Prat.

Fitou : Col del Prat

3° Les tracés en zig-zag

Faute de moyen d'orientation précis dans les travaux souterrains, les mineurs romains (ou médiévaux) progressaient par une galerie de pilotage en zig-zags d'un puit vers l'autre. Les deux équipes finissaient par se retrouver en se localisant, semble-t-il, au son.

Pour les ouvrages larges comme le tunnel de Cantarelles à Sernhac, les erreurs de la galerie de pilotage étaient rectifiées lors de la mise au gabarit final.

Les ouvrages plus étroits tels le tunnel de Fontanes sur l'aqueduc du Giers qui alimentait Lyon ou notre tunnel du Col del Prat, conservaient les zig-zags du tracé iniital.

Giers : Tunnel de Fontanes

◄ À gauche, arête de rencontre de deux sections dans le tunnel de Fontanes.
Photo : Groupe Archéo. Forez-Jarez

À droite, arête de rencontre ►
de deux sections dans le tunnel du Col del Prat.

Fitou : Col del Prat

Comparaisons avec des ouvrages récents

Pour comparaison avec ces ouvrages antiques, sont présentés ci-dessous deux vues d'ouvrages miniers du début du XXème siècle qui portent les traces d'autres méthodes d'alignement et de creusement.

Mines de Planèze

◄ À gauche
galerie bien alignée, profil en U sans trace de pics et sans niches, de la mine de fer de Planèze (schiste).

À droite ►
trous de mines dans le front de taille abandonné d'un tunnel de la mine de cuivre de Montgaillard (calcaire).

Mines de Montgaillard

Comparaisons avec l'étang de Montady

En Languedoc, le Pla de Fitou présente beaucoup d'analogies avec l'ancien étang de Montady, situé à cinquante kilomètres au Nord-Est, dont l'aménagement remonte au XIIIème siècle.

Si l'on fait exception de leurs superficies, 4,5km2 à Montady, 0,97km2 au Pla et de leurs origines, éolienne à Montady, karstique au Pla, ces deux sites présentent des similitudes : ce sont deux dépressions sans exutoire, donc inondables qui ont été gagnées pour l'agriculture par des travaux de drainage.

◄ Ci-contre la silhouette de Montady (en bleu clair) superposée à celle du Pla (en bleu plus foncé) à la même échelle.

Dans les deux sites, les eaux ont été collectées par un réseau de canaux puis évacuées, par un tunnel, au delà de leurs verrous topographiques respectifs, le Col del Prat à Fitou, le Malpas à Montady. Ci-dessous les deux tunnels à la même échelle.

Le tunnel du Col del Prat qui évacue les eaux du Pla a un tracé en zig-zags, d'une longueur de 260 mètres.

Il a été excavé à partir de neuf puits, sa profondeur maximale est d'une douzaine de mètres.

Le tunnel des moines qui évacue les eaux de l'étang de Montady, a un tracé en zig-zags d'une longueur de 1360 mètres

Il a été excavé à partir de seize puits, sa profondeur maximale est d'une trentaine de mètres.

Soulignons que le tunnel des moines est surplombé, du bas vers le haut, d'abord par le tunnel ferroviaire (XIXème siècle), puis le tunnel du Malpas que franchit le canal du midi (XVIIème siècle).

On trouve peu d'images de l'intérieur du tunnel des moines, à la différence du tunnel du Col del Prat il semble être en eau en permanence et son accès est réservé. De plus dans le secteur c'est le tunnel du Malpas qui monopolise l'attention des photographes.

◄ À gauche,
une des rares vues intérieures du tunnel des moines.
Photo : J. Pécout 

À droite, ►
un 'traoucat', fossé d'effondrement sur un secteur peu profond du tunnel des moines.
Photo : Panoramio 

Outre ces performances exceptionnelles, l'intérêt de cet ouvrage réside dans les documents qui ont été établis lors de sa création et qui ont été conservés.

Une charte de 1247 de l'archevêque de Narbonnne autorise les deux seigneurs propriétaires du site à entreprendre le drainage de l'étang et la réalisation du tunnel d'évacaution des eaux. Le creusement de ce tunnel sera réalisé entre 1247 et 1270.

Une datation du Tunnel du Col del Prat est-elle possible?

En l'absence d'évidences archéologiques, la paternité de l'ouvrage peut, selon les sensibilités, être attribuée à diverses civilisations, tels les Ibères ou les Romains ou à divers groupes sociaux tels les moines ou les Templiers, qui ont contribué à l'aménagement de ce territoire.

Un ouvrage romain?

Si les traces techniques que nous trouvons particulièrement nombreuses dans la section aval du tunnel sont comparables à celles laissées par les mineurs romains dans les tunnels de Sernhac, de Venelles ou du Giers, elles ne suffisent malheureusement pas à attribuer aux romains la réalisation de cet ouvrage.

D'abord si nous avons pu nous permettre des comparaisons photographiques avec les ouvrages romains, c'est parce que, sur internet, l'iconographie sur les aqueducs romains est beaucoup plus abondante que celle concernant les ouvrages d'autres périodes. Ce qui fausse la comparaison.

Par ailleurs, il semble que durant un millénaire et demi, les techniques de creusement, tout comme celles de la topographie, aient peu évolué. Paul COURBON, Les creusements en génie civil de l’antiquité à la poudre (Revue XYZ • N° 130 58 – 1er trim. 2012)  

En effet, jusqu'au début du XVIIème siècle qui a vu l'introduction de la boussole et de la poudre dans le génie militaire puis civil et jusqu'au XIXème siècle qui a vu celle des outils de forage pneumatiques et de l'éclairage au pétrole puis à l'électricité, les techniques utilisées par les mineurs, ont peu évolué depuis l'époque romaine, voire depuis le début de l'âge du fer.

Un ouvrage médiéval?

On constate avec l'étang de Montady que les ingénieurs et les mineurs du moyen-âge était capables de réaliser des prouesses techniques qui n'avaient rien à envier à celles des romains.

Une étude de Jean-Loup Abbé dénombre en Languedoc cinquante-quatre anciens étangs dont le drainage a été réalisées entre le XIIème et le XVème siècle. Parmi ces ouvrages l'ancien étang de Tarailhan à Fleury d'Aude est lui aussi drainé par un tunnel.

L'attribution du drainage du Pla et de la réalisation du tunnel du Col del Prat à ces grandes opérations d'aménagement rural du moyen âge est une hypothèse séduisante.

Cependant, à la différence du tunnel de l'étang de Montady ou de celui de l'étang de Tarailhan, il semble que l'aménagement du Pla et le creusement du tunnel du Col del Prat n'aient laissé aucune trace dans les archives.

Conclusion

En l'absence de texte fondateur et si l'on s'en tient aux seules traces techniques, compte-tenu des erreurs d'orientation qui semblent antérieures à l'usage de la boussole, on ne peut, sans faire preuve de parti-pris, situer la réalisation du tunnel du Col del Prat dans une fourchette chronologique plus précise qu'entre le début du premier millénaire avant notre ère et le début du XVIIème siècle de notre ère.

Si l'on admet que les peuples, Ibères ou Gaulois, qui occupaient le Languedoc et le Roussillon avant les romains n'y ont pas réalisé de grands aménagements on peut se risquer à réduire notre fourchette chronologique et faire démarrer celle-ci à la période romaine, soit au début de notre ère. Et on retrouve le millénaire et demi évoqué plus haut...

Seuls des sondages archéologiques, les constructeurs ont peut être laissé tomber quelques petits vestiges, ou des analyses de carottages du sédiment, qui emprisonnent de nombreux éléments datables comme le bois ou les pollens, permettraient de dater cet ouvrage avec plus de précision.

Mise à jour : 21/05/2016